ROBERT LAPOUJADE - SOUVENIRS...

Bouquet de Fleurs 1935-1936Nous habitions le même quartier, Robert rue Saint-Jean, devant la placette de l'église Villenouvelle, moi Grand' Rue Villenouvelle. Nous fréquentions la même école maternelle, rue Bêche. Cette école était dirigée par une élégante et adorable demoiselle, mademoiselle Lamousserie, dont les élèves ont gardé un respectueux et affectueux souvenir. Comme nombre de jeunes filles de son époque, elle s'était adonnée à l'aquarelle, et en avait gardé le goût. Elle nous faisait beaucoup dessiner et colorier. Robert, qui avait déjà un sens aigu de la couleur recueillait les compliments. C'est ainsi qu'un jour, après les commentaires habituels sur les travaux que nous avions faits, il répondit : "Mademoiselle, je serai peintre." Parole d'enfant, peut-être, mais parole tenue. Lors de ses visites à Montauban, toujours discrètes, il ne manquait pas d'aller saluer notre ancienne maîtresse, à la maison de retraite, l'Ange gardien, faubourg Lacapelle. Elle était très sensible à ces visites de ses anciens "petits".

Exactement du même âge, il était plus grand que la plupart d'entre nous. Sur le chemin de l'école, que nous faisions seuls, malgré nos quatre ou cinq ans - les parents qui travaillaient étaient tranquilles : ils nous recommandaient de ne pas changer de trottoir, lequel nous amenait pratiquement à la maison. Sur ce chemin, donc, il affirmait ses convictions avec une certitude qui nous impressionnait.

Mûr pour son âge, choqué par la mort de son père, a onze ans, marqué par les difficultés matérielles qui en sont résulté, sa personnalité s'affirme. An cours complémentaire, à l'Ancien Collège, lorsque le professeur de français, monsieur Blanc, donne comme sujet : "Faites le portrait d'un de vos camarades", tous les élèves, sauf un, le choisissent. il est vrai que c'était le plus grand, et qu'il avait, seul, les cheveux roux.

Il doit donc gagner sa vie de bonne heure, et quitter très tôt l'école. Nombreux sont les Montalbanais qui se souviennent du garçon-boucher de la boucherie Rogalle, rue du Greffe. Il dessine et peint pendant tous ses moments de liberté. Un dimanche d'automne, je le trouvai sur ce qui est la place MonseigneurThéas, carton et papier sur les Genoux. Il cherchait à rendre la couleur et la lumière du tapis de feuilles de platanes, éclairées par le soleil.

Ciseaux 1949Il nous le disait: "il "monterait" à Paris" A son retour, après quelques mois de misère, je lui demandai ce qu'il avait vu et qui il avait rencontré. Il me répondit : "j'ai vu quelques musées, et je n'ai rencontré que des ratés" ; comme je poursuivais: "mais comment vivais-tu ?" " Je jouais de l'harmonica à la terrasse des cafés". Nous avions dix-sept ans.

Charles Malpel lui prête un atelier tout en haut de la tour de son hôtel de la rue du Général-Sarrail. il domine le paysage du Tarn : a droite, au loin, Planques ; à gauche, la vue classique de la ville : Pont Vieux, musées, les quais... Sa première exposition figurative : 1939.

Il est soucieux de problèmes métaphysiques , du devenir, de l'au-delà. Il voudrait traduire ses préoccupations par un symbolisme personnel. je revois, dans cet atelier, une figure de Christ, mi-verte, mi-jaune. Il essaie, dans le même temps, de transcrire, en musique, ses émotions musicales : notes aiguës en clair, basses en sombre.

Mais la guerre éclate. Elle le Surprend à Paris, où il était "monté à nouveau" car il le sentait, c'était au contact des maîtres qu'il devait se former.

Acrobate 1940Avec la défaite, l'occupation se met en place. C'est le temps des chantiers de jeunesse, de la rencontre avec Olivier Hussenot, de sa vie en ermite, puis de la clandestinité, rue de Seine.

je le retrouvai en 1947, à l'occasion de son exposition de la galerie Chastel. Il présentait une série de portraits de personnalités littéraires du moment : Breton, Mauriac, Sartre... Il en avait fait le dessin à la pointe d'argent. Chacun lui avait écrit une page ou un poème. Il avait réuni le tout dans un somptueux ouvrage : à gauche, la page autographe, à droite, le portrait. Quelques années plus tard, je lui demandai de revoir cet ensemble. Il me répondit : "J'ai dû le vendre".

En 1949, à l'occasion de sa première exposition non figurative, je le voyais heureux. Il avait réussi, plus particulièrement dans la célèbre toile La Bataille de Rocroi, à traduire son émotion par une manière qui n'est plus la figuration, mais qui n'est pas non plus l'abstraction. Il fallait trouver une issue que la peinture soit abstraite et signification à la fois.

Il publie, en 1951, le Mal à voir, et présente : Prétextes et peinture formelle. Dans son atelier, rue des Pyrénées, se trouvaient les objets qui avaient inspiré l'un et l'autre.

Un voyage dans le Nord lui révèle le ciel gris, mais aussi ces villes qui s'étirent sans fin entre les terrils, les corons que nulle verdure égaie. Lapoujade, qui a vécu dans la plus rose des villes roses s'imprègne de la tristesse qui se dégage du pays. Elle lui inspire la série de L'Enfer et la mine, présentée en 1952 à la galerie Arnaud, rue du Four à Paris. La même année, Fougeron expose sur le même sujet "la mine", de manière réaliste socialiste, et Ernest Pignon peint L'ouvrier mort (d'un coup de grisou). Le titre de l'exposition est révélateur de ses sympathies. Pourtant, malgré les sollicitations, il ne se laisse inféoder à rien, ni soumettre à personne. Philippe Dagen, quelques jours après sa mort - dans Le Monde du 19 mai 1993 -, a pu justement le qualifier de provocateur solitaire. De cette exposition, j'ai gardé, plus particulièrement, le souvenir de Le Grisou et Univers concentrationnaires.

Il déménage et va habiter le Marais, où je le voyais à l'occasion de rares voyages à Paris.

En 1961, c'est à la galerie Dornec l'exposition : Emeutes, dont le catalogue est préfacé par J.-P. Sartre. L'exposition, si elle reçoit un accueil réservé, ne laisse pas indifférent. On conçoit que les toiles, comme Triptyque sur la torture (hommage à Djamila Boupacha et Henri Allego), On fusille à l'aube, Hiroshima, etc... soient considérées, à l'époque, comme de véritables provocations.

La Tentation de St antoine 1944Son départ dans un village de la Brie devait rendre rares nos rencontres.

je le retrouvai à Amiens, où il était venu, avec Lucien Lautrec - à qui le musée Ingres a consacré une exposition en 1990 - donner une série de conférences.

Le Lion's Club de Montauban accepta en 1969 de lui acheter un dessin. Il entrait alors au musée de sa ville natale. Depuis, un tableau est venu rejoindre cette première pièce importante.

Dans un article paru le 16 septembre 1965, je terminai par cette phrase : "Pourquoi pas une première rétrospective?"

C'est enfin chose faite.

Robert Guicharnaud